2023 s’annonce délicate aussi bien pour les promoteurs immobiliers que pour les ménages.
Amine Mernissi, expert immobilier, estime que l’activité de promotion immobilière est très consommatrice de foncier. Entretien.
Propos recueillis par C. Jaidani
Finances News Hebdo : Les chiffres du secteur immobilier publiés dernièrement sont en berne. Est-ce conjoncturel ou s’agit-il d’un nouveau cycle baissier ?
Amine Mernissi : Après une embellie du marché immobilier de seconde main essentiellement, corroborée par les chiffres de l’IPAI pour le 3ème trimestre 2022 faisant ressortir un bond de +45% des transactions, le 4ème trimestre 2022 permet de tirer un bilan sur l’année et fait ressortir une baisse des ventes des actifs immobiliers. En effet, elles ont accusé un recul par rapport à 2021 de 15,4% sur un an. Une évolution qui impacte l’ensemble des catégories d’actifs immobiliers, soit -15,4% pour le résidentiel, -18% pour les terrains et -9,8% pour les biens à usage professionnel. Cette situation est conjoncturelle en partie, puisque l’impact négatif de la crise Covid puis des conséquences socioéconomiques de la guerre en Ukraine sont tangibles et indiscutables. Mais il n’en demeure pas moins qu’avant 2020 (pré-Covid), le marché immobilier était déjà en situation difficile. Par conséquent, la fragilité sociale et économique induite par l’enchaînement de deux événements mondiaux majeurs et inattendus, a lourdement vulnérabilisé un secteur qui structurellement n’allait déjà pas très bien… Aujourd’hui, la conjoncture mondiale étant très troublée du fait de l’incertitude et du climat de risque liés à la guerre en Ukraine, a pour conséquences la difficulté à prévoir et donc à maîtriser des paramètres exogènes. Lesquels ont un retentissement endogène direct (inflation galopante multisectorielle, entre autres, et pouvoir d’achat des ménages en berne).
F.N.H. : Les dispositions prises par le gouvernement dans le cadre de la Loi de Finances 2023 sont-elles suffisantes pour relancer le secteur ?
A. M. : Corrélé à différents facteurs économiques, politiques et sociaux, le secteur immobilier marocain vit une situation complexe et peine à redresser la pente. L’année 2023 s’annonce également délicate aussi bien pour les promoteurs immobiliers que pour les ménages ou futurs acquéreurs qui se heurtent à des facteurs tant endogènes qu’exogènes. Quant à la Loi de Finances 2023, pour l’heure, elle laisse sur leur faim, et les promoteurs et les acquéreurs ! Ces derniers faisant face simultanément au retard pris par les pouvoirs publics dans l’adoption du décret d’application des nouvelles incitations dédiées au secteur prévue par la Loi de Finances 2023. A date, aucune clarification n’a été opérée quant aux deux produits «subventionnés» que propose l’Etat, à savoir les logements sociaux attendus probablement à 300.000 DH et les logements destinés à la classe moyenne à 600.000 DH. Avec pour les deux, l’octroi d’une aide directe aux ménages, qui jusqu’à présent demeure toujours méconnue, alors que l’année 2023 est déjà bien entamée. Par conséquent, nous sommes aujourd’hui encore dans les effets d’annonce. Seule l’opérationnalité de ces aides permettra de juger si oui ou non elles seront un facteur de relance du secteur. Je dis «un», car il ne saurait être le seul.
F.N.H. : La rareté du foncier est une contrainte majeure du secteur. Quels sont les leviers à investir pour remédier à cette problématique ?
A. M. : Au Maroc, le foncier n’est pas rare. Il faut juste le libérer pour le mettre à disposition des opérateurs. Mais le point de départ est la volonté. Cette problématique du foncier est récurrente depuis des décades. Si elle n’a pas trouvé de solutions depuis, il faudrait s’interroger alors sur le rôle régulateur de l’Etat, ou pas… Je rappelle que depuis 2022 et dans un contexte lourdement inflationniste, les prix du foncier et des matériaux de construction ont connu une montée en flèche. Augmentant, de facto, le coût de revient des actifs immobiliers. Mobiliser du foncier public et le mettre sur le marché pour les opérateurs est donc une nécessité. Cela relève aussi de la planification urbaine et des villes que nous souhaitons bâtir pour accueillir nos ménages sur les vingt prochaines années. Il y a donc une approche prospective, conjuguée à des pouvoirs publics stratèges qui doivent donner le «la».
F.N.H. : Faut-il privilégier la construction en hauteur ou augmenter la fiscalité sur les terrains non bâtis ?
A. M. : Oui, il faut augmenter la construction en hauteur à chaque fois que cela est possible. Aujourd’hui, il faut encore batailler pour avoir plus que du R+5 dans un hyper-centre ! Pourquoi ? Il est anormal que nous ayons une activité de promotion immobilière autant consommatrice de foncier. Avec tout ce que cela induit comme effets pervers, dont un majeur (et inutile) : l’étalement tous azimuts des villes. Aussi, je ne pense pas que la fiscalité des terrains non bâtis devrait être augmentée. Car pour un promoteur immobilier, le foncier c’est le nerf de la guerre et sa matière première. C’est comme un stock pour une entreprise. Il n’a pas vocation à rester statique. Au contraire, il doit le faire tourner, le reconstituer, pour in fine le développer et le valoriser. Par conséquent, le taxer est inéquitable. Mais je comprendrais qu’il en soit autrement pour un spéculateur dont la seule vocation est de jouer la montre pour le revendre un jour avec une plusvalue mirobolante. Il y a un distinguo à faire entre tel ou tel détenteur de foncier en matière de fiscalité.
F.N.H. : Dans la typologie d’habitat, on note une émergence des appartements de type studios. Comment expliquez-vous cette tendance ?
A. M. : Ce n’est pas un fait nouveau et ce, depuis au moins une vingtaine d’années. La nucléarisation de la famille, à l’instar des pays occidentaux, a conduit à une diminution du besoin pour les appartements de grande superficie. Famille monoparentale, couple sans enfant ou simplement jeunes actifs souhaitant vivre seuls, le studio s’avère être un produit très prisé. Car il répond à une évolution de notre société. Ajouté à cela, la perspective de l’investissement locatif. En effet, la demande pour un studio meublé est exponentielle dans les grandes métropoles. Même si le prix au m2 est supérieur pour un studio que pour un appartement de grande superficie, la tendance ne faiblit pas. Force est de constater que bon nombre de propriétaires de studios choisissent de les conserver et de les mettre en location, quand bien même ils ne correspondent plus à leurs besoins où à leur situation matrimoniale ou professionnelle (mariage, mutation…). Le studio, c’est un peu comme le premier pied que l’on met, ou plutôt la première pierre que l’on pose, dans ce rêve que l’on pourrait caresser un jour, à savoir constituer un patrimoine immobilier.
Source : www.fnh.ma
Date d’article : Dimanche 12 Mars 2023